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La guerre aux écoliers

La Presse, May 8, 2014

Agnès Gruda
La Presse

Parmi les rescapées du récent enlèvement de plus de 300 élèves dans un village du nord du Nigeria, il y a Deborah Sanya, jeune femme de 18 ans qui n’avait plus qu’une poignée d’examens à passer avant de décrocher son diplôme du secondaire.

Mais Deborah Sanya n’a pas pu terminer ses examens. Le soir du 14 avril, des hommes portant l’uniforme de l’armée nigériane se sont pointés à l’école où elle était pensionnaire, et ont entrepris d’évacuer les élèves en leur promettant de les conduire en lieu sûr.

Puis, les faux soldats ont commencé à tirer en l’air en criant «Allahu Akbar», avant de mettre le feu au bâtiment. Deborah Sanya et ses copines ont alors compris qu’elles venaient de tomber entre les mains des islamistes extrémistes du groupe Boko Haram. Son seul nom, qui signifie «l’éducation est un péché», en dit long sur ses objectifs.

Après quelques heures de captivité, Deborah Sanya a réussi à s’enfuir avec quelques amies. Mais comme elle l’a confié à un journaliste du New Yorker, son calvaire n’est pas terminé pour autant. Car elle ne peut arrêter de penser aux quelque 270 compagnes qui n’ont pas eu son courage, ou sa chance. Et qui restent toujours introuvables, trois semaines après leur enlèvement.

Ce kidnapping de masse n’a pas reçu immédiatement le traitement médiatique qu’il méritait. Les islamistes de Boko Haram n’en sont pas à leur première exaction. Leurs attaques dans le Nord nigérian abandonné par l’État ont fait 1800 morts au cours des quatre derniers mois! Au départ, ce n’était donc qu’une horreur de plus dans un pays qui sombre dans la violence.

Mais l’idée que des centaines de jeunes femmes aient pu être arrachées à leur vie, cachées en un lieu secret pour être éventuellement vendues comme esclaves a fini par créer une vague d’indignation mondiale. Au point que plusieurs pays, dont le Canada, ont décidé de prêter main-forte au Nigeria pour les retrouver. Tandis que la campagne «Bring Back Our Girls» fait rage sur les réseaux sociaux. Et que des manifestations devant les consulats nigérians s’organisent un peu partout sur la planète.

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C’est un formidable élan de solidarité internationale devant une attaque aussi révoltante que gratuite. Devant, aussi, l’apparente indolence de l’État nigérian.

Mais cette attaque n’est malheureusement pas unique en son genre. Ni au Nigeria, ni ailleurs dans le monde.

Il y a plusieurs années que les islamistes de Boko Haram ciblent les écoles. Au début, ils se contentaient de brûler des bâtiments vides, la nuit. Mais depuis un an, ils conduisent leurs attaques en plein jour. Fin février, ils ont attaqué une autre école du nord du pays. Bilan: 43 élèves tués, plusieurs lycéennes enlevées et une école rasée – comme 200 autres écoles, dans ce seul État du Nigeria. Cet évènement meurtrier est passé quasi inaperçu…

Et puis, les attaques contre les écoles, leurs élèves et leurs maîtres se multiplient dans au moins 30 autres pays, selon une recherche récente de la Coalition globale pour protéger les écoles contre les attaques.

L’Afghanistan, la Colombie, le Pakistan, la Somalie, le Soudan et la Syrie sont au premier plan de ce sinistre palmarès. En deuxième ligne, il y a la Côte d’Ivoire, l’Irak, le Mexique, la République démocratique du Congo et le Yémen.

Ces pays ont en commun d’avoir accumulé, entre 2009 et 2012, plus de 500 attaques visant spécifiquement des établissements d’éducation.

Pensez-y: plus d’un demi-millier d’écoles saccagées, de profs tués par balles ou d’enfants assassinés parce qu’ils osent aller à l’école. Ce n’est plus un phénomène. C’est une épidémie.

Les victimes sont souvent des filles. Mais pas seulement. Les attaques sont souvent conduites par des fous d’Allah. Mais pas seulement non plus.

La Colombie est le pays le plus dangereux pour les enseignants: 140 d’entre eux y ont été assassinés en trois ans. L’Afghanistan détient la palme des attaques antiécoles, avec 1100 agressions, signées surtout par des talibans. Mais les écoles sont aussi visées en Birmanie, où des nationalistes bouddhistes se battent contre les musulmans. Tandis que des écoliers bouddhistes sont visés en Thaïlande. Que l’armée de Bachar al-Assad bombarde les écoles dans les quartiers et les villages syriens contrôlés par les insurgés. Et que des milices congolaises kidnappent des écoliers pour les enrôler dans leur guérilla.

Tout comme le viol, les attaques contre les écoles font partie de l’arsenal des combattants d’aujourd’hui. «C’est une véritable arme de guerre», dit Zama Coursen-Neff, directrice du programme sur les droits des enfants pour Human Rights Watch.

Pourquoi les écoles se trouvent-elles ainsi au coeur de la bataille? Parce qu’elles symbolisent l’État contesté. Parce qu’elles peuvent servir de base de recrutement. Parce qu’elles constituent un éventuel lieu de liberté. Parce qu’on veut bloquer l’éducation des filles.

Mais d’abord et avant tout, dit Zama Coursen-Neff, parce que les écoles sont des cibles faciles. Et que ces attaques permettent de semer la terreur.

Aussi simple et aussi terrifiant que ça.